Un chuintement de piano lumineux transperce ensuite la brume épaisse et la vie reprend son cours. Le monde valse devant nos yeux lénifiés. C’est l’Histoire avec un grand H qui défile ici. La conquête tranquille de l’Homme sur son berceau innocent. Nos assaillants s’évertuent pourtant à nous démontrer l’implacable simplicité de tout cela à travers des titres toujours plus justes. « All Blues » sonne comme une piqûre de rappel: tout ceci n’est effectivement que du Blues transcendé à l’extrême par la modalité nouvelle d’un jazz en état de grâce.
Le rythme retombe enfin car l’oeuvre est achevée ou presque. Le temps d’un dernier flamenco enivrant, les thèmes modulés du départ refont une brève apparition bercés par une ligne de basse nonchalante et cette trompette de l’enfer, perçante et rouillée. Le souffle est pur et ne cessera de nous interroger, de nous prouver l’étendu d’une grandeur Humaine oubliée. Les saxophones pleurent une gloire passée et une utopie future dans un monde ou l’ironie du sort est triomphante. Nulle demie mesure n’est possible devant cette étendue de musique. Les notes de piano s’égrènent lentement tandis que les musiciens prennent le chemin de la sortie.
La musique s’en va comme elle est venue et nous laisse pétrifiés dans une attente désormais éternelle. Le moment passé était d’une grandeur trop forte. Mais au contraire d’une beauté divine, surréaliste qu’on peut trouver dans du Beethove ou chez Mozart, tout ici est humain et transcende le réel sans jamais le rendre fade ou obsolète. Les musiciens eux même se rendaient compte que quelque chose était en train de se produire ici sans qu’ils pussent contrôler quoi que ce soit. Si Dieu n’a rien à voir là dedans, il est possible qu’un hasard panthéiste ait bien fait les choses pour une fois.